24 Mars 2013
Ils m’avaient réveillée très tôt, prestement habillée :
Un pull, un vieux pantalon et un anorak par dessus mon pyjama
Deux paires de chaussettes dans les bottes pour tenir le pied,
Et affronter, dans ce petit matin automnal, les premiers frimas.
Dans l’intimité de la nuit pâlissante, nos souffles en écho,
La tige des bottes claquait contre le mollet, résonnait.
Chaque enjambée me portait derrière leurs pas, au petit trot,
Fière de ne pas décevoir ce père et ce grand-père que je suivais.
Peu à peu le soleil s’insinuait dans les brumes, creusait l’opacité,
Dévoilait le sentier veiné de racines sombres et saillantes,
Serpent écailleux et mordoré filant la forêt ensommeillée
Entre les rais de lumière et les ombres tournoyantes.
Et puis tout s’arrêta devant un cratère ouvert sur le ciel,
Halo dormant où gisaient désenchantés, les bois coupés.
Parmi les branches en pagaille, de lourds troncs pêle-mêle
Jonchaient le sol, étêtés, démembrés, mutilés.
Ils m’avaient dit d’entasser les petits rondins humides et froids.
Je les tirais, les poussais, les roulais, en silence et au supplice
Dans l’odeur âcre de la sciure encore fraîche, paillettes de bois
Etalées en linceul et embaumant les souches, autel de leur sacrifice.
Plus tard dans l’hiver, après avoir emmené mon esprit frondeur
Se perdre au cœur des bois dressés, se ressourcer en douceur,
Auprès de ma grand-mère je m’asseyais, dans l’épaisse chaleur
Du poêle à bois rougissant nos joues veloutées de bonheur.